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La semaine du droit pénal spécial

Pénal - Droit pénal spécial
05/07/2021
Présentation des dispositifs des derniers arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit pénal spécial.
Abus de confiance – objet détourné 
« M. A. R était salarié depuis 1999 de la société Ioltech, spécialisée en chirurgie ophtalmique, laquelle a été rachetée en 2005 par la société Carl Zeiss Méditec (CZM).
À l’occasion de la cession de sa branche pharmaceutique, en septembre 2010, la société CZM a découvert que depuis 2007, M. R accordait à des distributeurs étrangers des baisses de tarif, moyennant le versement de commissions occultes. Les fonds correspondant à ces commissions lui étaient versés sur un compte bancaire ouvert en Suisse, et justifiés par la facturation de prestations fictives en matière de conseil ou de formations, cette facturation étant établie par sa compagne, Mme P,d’abord dans le cadre d’une activité personnelle de consultant, puis à partir de 2009 par une société Inteyes, dont M.R était l’initiateur et le gérant de fait.
Par ailleurs, M. R a utilisé des documents techniques internes à la société CZM pour fabriquer, à l’insu de son employeur, des documents de formation destinés à certains distributeurs étrangers.
À la suite de la plainte de la société CZM, une information judiciaire a été ouverte le 5 janvier 2012 des chefs de corruption, faux et usage de faux. Le juge d’instruction a été saisi par la suite, le 2 mars 2012, d’un réquisitoire supplétif pour révélation de secrets de fabrique, et recel de ce délit, puis le 31 juillet 2015, pour abus de confiance, en ayant fait usage d’un temps de travail et de moyens humains et matériels mis à sa disposition par son employeur au préjudice de la société CZM, ainsi que pour faux et usage de faux. Mme P a été pour sa part mise en examen des chefs de complicité de l’abus de confiance commis par M. R, et complicité de faux et d’usage de faux.
À l’issue de l’information judiciaire, M. R a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d’abus de confiance au préjudice de la société CZM, dont il était salarié, pour avoir fait usage d’un temps de travail et de moyens humains et matériels mis à sa disposition par son employeur.
Mme P a été quant à elle renvoyée devant le tribunal correctionnel pour complicité du délit d’abus de confiance commis par M. R, en agissant en tant que représentante de Inteyes consulting puis de la société Inteyes auprès de distributeurs étrangers qui étaient en relations contractuelles avec la société CZM, en établissant des contrats avec eux et des facturations, et en encaissant sur un compte bancaire suisse les paiements correspondants.
Par jugement du 23 mai 2017, le tribunal correctionnel de Toulouse a constaté la prescription de l’action publique, relaxé les prévenus, déclaré recevable la constitution de partie civile de la société CZM, mais débouté celle-ci de ses demandes.
Seule la société CZM, partie civile, a fait appel de ce jugement.
 
Pour rejeter le moyen faisant valoir qu’à l’époque des faits reprochés, l’utilisation au préjudice de l’employeur d’un temps de travail et de moyens humains et matériels mis à sa disposition par ledit employeur n’était pas constitutive d’un abus de confiance, avant un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 19 juin 2013, lequel, étant imprévisible, ne pouvait donc être appliqué rétroactivement, l’arrêt attaqué énonce qu’il s’agit devant la cour d’appel d’apprécier l’existence d’une faute civile dans le comportement de M. R et de Mme P à l’égard de la société CZM, de sorte que ce débat sur l’application rétroactive au cas d’espèce de cette nouvelle interprétation est sans objet.
C’est à tort que la cour d’appel a énoncé que la question de la qualification pénale des faits était sans objet, les faits retenus pour établir une faute civile devant non seulement entrer dans les prévisions du texte pénal, mais aussi relever d’une infraction susceptible d’être poursuivie à la date des faits.
Tel n’est pas le cas lorsque les faits poursuivis n’entrent dans les prévisions d’une infraction que par l’effet d’une jurisprudence postérieure qui n’était pas prévisible.
En l’espèce, l’arrêt attaqué n’encourt pas la censure, dès lors que l’arrêt du 19 juin 2013 de la Cour de cassation (pourvoi n°12-83.031), invoqué par le demandeur, a seulement précisé les contours de l’infraction d’abus de confiance d’une manière qui était prévisible au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation s’étant, par plusieurs arrêts antérieurs, engagée dans le sens d’une conception dématérialisée de l’objet détourné

 
Pour condamner in solidum M. R et Mme P à verser à la société Carl Zeiss Meditec la somme de 62 100 euros, l’arrêt attaqué, après avoir relevé que M. R a usé du temps et des moyens matériels et humains mis à sa disposition par son employeur pour exercer une activité commerciale occulte en fraude des droits de la société CZM, notamment en faisant usage de documents de formation internes à cette société pour fabriquer des documents de formation à destination de distributeurs étrangers, retient que les accords entre M. R et certains distributeurs ont permis à celui-ci de détourner à son profit une partie de la propre marge de son employeur.
En statuant ainsi, la cour d’appel n’encourt pas le grief formulé au moyen.
En effet, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que les agissements fautifs commis par M. R, avec la complicité de Mme P, l’ont été pendant le temps qu’il aurait dû consacrer à son employeur en exécution de son contrat de travail, et ont directement causé à la société Carl Zeiss Meditec le préjudice souverainement évalué par les juges.
Dès lors, le moyen n’est pas fondé ».
Cass. crim., 30 juin 2021, n° 20-81.570, F-B *
 
 

 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 5 août 2021
 
 
Source : Actualités du droit