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CEDH : la France condamnée pour des violences infligées à un détenu

Pénal - Peines et droit pénitentiaire, Procédure pénale
12/12/2019
Saisie par un ressortissant français, la Cour européenne des droits de l’Homme a dû se prononcer sur le traitement inhumain et dégradant infligé à un détenu avant et pendant son transfert de prison et pour défaut d’enquête. Elle a reconnu une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. 
Un homme a saisi la CEDH pour violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en raison de traitements inhumains et dégradants et d’un usage disproportionné à la force du personnel pénitentiaire alors qu’il est détenu.
 
L’intéressé, qui souhaite être transféré vers un établissement pénitentiaire plus proche de sa famille, se scarifie le bras. Après plusieurs incidents, le détenu affirme avoir été victime de violences de la part du personnel pénitentiaire lors d’un transfert. Une enquête de flagrance est diligentée, mais sera classée sans suite « au motif que les investigation n’avaient pas permis de caractériser l’infraction ».
 
Au même moment, une enquête administrative interne est aussi ouverte. L’enquêteur conclut à la faute disciplinaire d’un surveillant responsable du transfert, laissant le requérant dans une tenue uniquement constituée d’un tee-shirt et d’un drap pour procéder au transfert. Ce dernier est condamné à une exclusion temporaire de ses fonctions.
 
L’année suivante, l’inspection des services pénitentiaires est chargée d’une enquête administrative sur les faits dénoncés. Il a été retenu que le surveillant chargé du transfert « aurait dû attendre l’ouverture du vestiaire indigent et la remise de vêtements avant le départ » pour l’autre centre pénitentiaire.
 
Le détenu dépose plainte avec constitution de partie civile pour actes de tortures et de barbarie commis avec usage d’une arme par personnes dépositaires de l’autorité publique. Une information judiciaire est ouverte pour violences aggravées commises par personnes chargées d’une mission de service public. Néanmoins, une ordonnance de non-lieu sera rendue par le juge d’instruction qui reconnaît l’usage de la force, mais qui serait proportionnée à l’état d’agitation du requérant. Pour le juge, « l’information n’avait pas permis de caractériser l’infraction de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours commise en réunion et par personnes chargées d’une mission de service public ».
 
Après un appel de cette ordonnance, la chambre de l’instruction a confirmé le non-lieu. Le requérant décide de former un pourvoi que la Cour de cassation va rejeter aux motifs que : « la chambre de l’instruction, après avoir analysé l’ensemble des faits dénoncés dans la plainte, a exposé, par des motifs exempts d’insuffisance comme de contradiction, qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis les délits reprochés, ni toute autre infraction » (Cass. crim, 6 mai 2014, n° 13-81.522).
 
De son côté, le Défenseur des droits, saisi d’une réclamation, rend sa décision et « regrette le choix de l’administration pénitentiaire de différer la prise de sanctions à l’égard des personnels identifiés en raison de la procédure judiciaire en cours ». L’un d’eux ayant été effectivement sanctionné, un autre muté et un troisième ayant quitté ses fonctions. Pour le Défenseur, l’origine des blessures constatées sur le requérant, les auteurs et les blessures résultant « pourtant d’un usage manifestement disproportionné de la forme » n’a pu être déterminée avec certitude malgré les investigations.
 
L’intéressé saisit alors la CEDH.
 
Concernant les violences infligées au détenu, ce dernier invoque l’article 3 de la Convention qui dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Article consacrant « l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » rappelle la CEDH.
 
Elle considère qu’outre les souffrances physiques, le traitement auquel a été soumis le requérant a pu engendrer « peur, angoisse et souffrance mentale ». Elle s’interroge alors sur le fait de savoir si la force physique était strictement nécessaire au regard de son comportement, ou non. La Cour reconnaît notamment la vulnérabilité du détenu, de part sa détresse psychique et d’autre part, de sa privation de liberté. « Cet aspect primordial doit être pris en considération dans l’analyse de la nécessité et de la proportionnalité de la force utilisée par les agents pénitentiaires ».
 
Aussi, le fait que le requérant ne soit vêtu lors de son transfert que d’un tee-shirt et d’un drap pour tenter de cacher sa nudité, « a provoqué chez le requérant des sentiments arbitraire, d’infériorité, d’humiliation et d’angoisse ». Les juges estiment donc que « ce traitement constitue un grave manque de respect pour sa dignité humaine ».
 
La CEDH va donc reconnaître une violation de l’article 3 de la Convention dans son volet matériel : le requérant a subi des traitements inhumains et dégradants.
 
Sur le plan procédural, la Cour de Strasbourg affirme que différentes enquêtes indépendantes ont été menées concernant les faits dénoncés par le requérant : enquête administrative interne, celle de l’inspection des services pénitentiaires et une instruction. Néanmoins, l’enquête n’a pas mené à l’identification et à la punition des responsables des traitements inhumains et dégradants qu’elle a pourtant constatés.
 
D’une part, la Cour estime que « la juge d’instruction, comme la chambre de l’instruction, semblent avoir appliqué des critères différents lors de l’évaluation des témoignages, celui du requérant étant considéré comme subjectif, à l’inverse de ceux des surveillants ». La vérification de la crédibilité des témoignages aurait dû être faite.
 
Et les juges européens relèvent notamment que « le magistrat instructeur n’a ni procédé à une confrontation entre les surveillants ayant des déclarations contradictoires », ni entendu le surveillant qui faisait état d’un passage à tabac subi par le détenu. Le juge d’instruction n’a pas non plus ordonné d’expertise médicale et technique pour une marque de strangulation constatée. « De telles mesures étaient pourtant nécessaires pour tenter d’éclaircir les faits ».
 
La CEDH estime donc que le requérant n’a pas bénéficié d’une enquête effective et reconnaît la violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.
 
La France devra verser 18 000 euros au plaignant pour dommage moral.
 
L’avocat, Me Patrice Spinosi, a confié à l’AFP qu’il s’agit d’un « dossier assez exemplaire ». Et affirme que « lorsque l'on est confronté à des plaintes de détenus qui évoquent des violences de la part de l'administration pénitentiaire, la CEDH dit clairement que la nature de la réponse apportée aussi bien par l'administration que par le pouvoir judiciaire n'est absolument pas suffisante", a également insisté l'avocat ».
 
(CEDH, 5 déc. 2019, n° 71670/14, J.M. c. FRANCE)
Source : Actualités du droit